SAIKAKU (IHARA)

SAIKAKU (IHARA)
SAIKAKU (IHARA)

Poète, conteur et romancier, Ihara Saikaku renouvela, vers la fin du XVIIe siècle, la prose japonaise en s’inspirant des techniques du haikai , qu’il avait pratiqué assidûment dans sa jeunesse. L’ensemble de son œuvre forme une sorte de Comédie humaine de son temps et de son milieu, la bourgeoisie marchande d’ 牢saka. Il est considéré, avec le dramaturge Chikamatsu et le poète Bash 拏, comme l’un des «trois grands» écrivains de son siècle.

Le poète

Hirayama T 拏go, riche marchand d’ 牢saka, s’était distingué dès son plus jeune âge dans les compétitions qui opposaient alors les amateurs de haikai (cf. JAPON - La littérature); vers la trentaine, il avait pris le pseudonyme de Saikaku (Ihara, qu’il utilisa en guise de patronyme, serait le nom de famille de sa mère). Comme pour son contemporain et rival occasionnel Chikamatsu, sa biographie se réduit à peu près à l’histoire de ses œuvres.

À l’âge de quinze ans, il suivait les enseignements de l’école de hakai dite Teimon, qui se réclame de Matsunaga Teitoku (1571-1653). Son talent est tel que, dès sa vingt et unième année, il est choisi pour arbitrer un concours. Vers le même époque, il rejoint le groupe de Nishiyama S 拏in (1605-1682), celui que Bash 拏 tiendra lui aussi pour son maître; à la suite de ce dernier, il prône une remise du haiku au goût du jour; le Teimon le surnommera Oranda-Saikaku, «Saikaku le Hollandais», c’est-à-dire «l’excentrique».

En 1673, il publie son premier recueil, Ikutama manku (les Dix Mille [Hai ]ku d’Ikutama ). Dans la préface, il s’en prend à la poésie contemporaine, «qui sent le moisi et ne fait que ressasser des vieilleries»; en 1675, ce seront mille haiku composés en un jour à la mémoire de sa femme, morte à vingt-cinq ans. Il pratique désormais l’improvisation rapide (yakazu haikai ) et les performances se suivent: 1 600 haiku en vingt-quatre heures (1677), 4 000, puis 23 500 dans le même temps (1680)! L’on rapporte que le scribe chargé de les noter, incapable de suivre le mouvement, se contenta de tracer des bâtons pour les compter. Le procédé de Saikaku, vivement critiqué par les traditionalistes du Teimon, n’est autre chose qu’un exercice de style, sans profondeur aucune; les versets composés de la sorte sont nécessairement liés entre eux au point de former des suites narratives qui, à la limite, aboutissent à une sorte de prose rythmée.

Saikaku, fort de cette expérience et de sa prodigieuse virtuosité, y découvrira un mode d’expression original, de forme poétique, que l’on retrouvera bientôt dans ses contes et romans.

Le romancier

L’essor économique qui suivit le rétablissement de la paix et l’unification de l’Empire par les sh 拏gun Tokugawa (cf. JAPON - Histoire) avait amené la formation d’une bourgeoisie marchande qui, principalement à 牢saka, se dota bientôt d’une culture d’un type nouveau, aussi éloignée de l’esthétisme traditionnel de l’ancienne aristocratie de cour que du néo-confucianisme de la classe militaire dominante. Une littérature d’inspiration populaire, dont la diffusion était favorisée par la généralisation de l’imprimerie vers 1620, s’était constituée dans la première moitié du XVIIe siècle; littérature édifiante, didactique, divertissante: il s’agit des kanas 拏shi , les «écrits en caractères phonétiques», dont la diffusion traduit l’alphabétisation de couches de plus en plus larges de la moyenne et petite bourgeoisie des villes.

L’introduction d’un nombre croissant d’idéogrammes chinois dans ces écrits permet de mesurer très exactement les progrès de cette nouvelle culture qui, tout en accueillant divers éléments de la tradition classique, s’attache d’autre part à répondre aux préoccupations plus immédiates de lecteurs qui veulent y retrouver le fruit de leur propre expérience et le reflet de leur conception du monde et de la société.

C’est précisément à ces aspirations, à ce besoin que répondra d’emblée Saikaku quand, vers la quarantaine, il se met à composer des récits romanesques. En 1682, il publie la première de ses «histoires de passion amoureuse» (k 拏shoku-mono ), la Vie d’un homme (Ichidai otoko ), dont le succès est immédiat. Son propos est d’écrire un Genji monogatari bourgeois et moderne: afin que nul n’en ignore, le livre est divisé, comme son lointain modèle, en cinquante-quatre chapitres. Le sujet est résolument immoral, en une époque où la classe dirigeante se veut austère: tournant le dos à la pruderie officielle, son héros se livre à une quête amoureuse sans vergogne dans les fameux «quartiers des fleurs» où, parmi les courtisanes de haut vol, le bourgeois fortuné réalise son rêve d’émancipation vis-à-vis du système féodal qui lui dénie toute existence politique. Quête décevante cependant, tout autant que celle du Genji, qui se termine, la soixantaine venue, par un symbolique embarquement pour une mythique «île-aux-femmes».

Une Vie d’un second homme (Nidai otoko , 1684) montre que Saikaku a du premier coup reconnu son public; l’on y voit le fils du héros de son ouvrage précédent poursuivre le dessein de son père, avec moins de succès encore; il découvrira en effet que l’amour des courtisanes n’a que les apparences de la liberté, puisqu’elles restent en toute occurrence les esclaves de l’or.

Déjà le moraliste point, malgré les descriptions licencieuses auxquelles se complaît encore Saikaku, qui sans doute ne se souciait d’abord que de divertir ses lecteurs. Le tournant sera pris dans les Cinq Amoureuses (K 拏shoku gonin onna ), et surtout dans la Vie d’une femme (Ichidai onna ), ouvrages parus en 1686. Le premier est une suite de cinq nouvelles relatant, à l’exception de la dernière qui selon l’usage se termine heureusement, les ravages exercés par la passion féminine. Trois de ces récits, inspirés de faits divers tragiques, présentent un intérêt tout particulier du fait que Chikamatsu les traitera un peu plus tard, à sa manière, dans des «drames bourgeois».

La Vie d’une femme , véritable roman au sens moderne du terme, passe à bon droit pour le chef-d’œuvre de Saikaku. Le conflit de l’amour avec les lois de la société, qui se résout par la violence et la mort dans les Cinq Amoureuses , se traduit ici par une longue et lente déchéance de la femme qui se trouve isolée dans un entourage ne connaissant que l’épouse ou la courtisane. Une jeune fille de petite noblesse s’éprend d’un jeune homme de classe inférieure; l’amant est exécuté, la fille, mariée à un vieillard, bientôt veuve, devient la concubine d’un grand seigneur; chassée sans pitié par l’épouse dès qu’elle aura donné le jour à un fils – l’héritier que l’épouse adoptera –, elle descendra par étapes jusqu’à la plus ignoble prostitution. Le roman se présente comme le récit de son calvaire que fait, à deux jeunes gens, cette victime d’un destin qui, sous les apparences d’une fatalité inéluctable, n’est autre chose que la conséquence logique d’un système social impitoyable et inhumain.

Dans cette œuvre magistrale, d’une cruelle lucidité, Saikaku avait en quelque sorte réinventé le roman et l’avait d’emblée porté à un degré de perfection que ce genre n’avait plus connu depuis le haut Moyen Âge. Désormais et jusqu’à la fin de ses jours, il n’écrira plus que des contes. Une quinzaine de recueils se succéderont, les derniers posthumes, dont deux au moins d’attribution douteuse.

Dès 1685, ce sont les Contes de toutes les provinces (Shokoku banashi ), historiettes sans prétention collectées au hasard de voyages à travers le pays, précieuses cependant pour les ethnographes.

Les Vingt Exemples d’impiété filiale de notre Empire (Honch 拏 nij fuk 拏 , 1686) répondent à un dessein plus systématique, en prenant le contre-pied des Vingt-Quatre Exemples de piété filiale , classique chinois maintes fois traduit, incroyable autant qu’édifiant; empruntées pour la plupart à l’actualité, ces histoire atroces ou lamentables montrent que, dans la réalité, l’«impiété» est malheureusement la règle en ce bas monde.

Sacrifiant à la mode du jour, Saikaku composera en 1687 un Grand Miroir de la pédérastie (Danshoku 拏kagami ) et, la même année et la suivante, deux recueils de bukemono , «histoires de guerriers», récits assez conventionnels de vendettas, mais aussi histoires de samurai empêtrés dans leur morale de caste, chez qui le souci de garder la face et le point d’honneur ne sont qu’un moyen de masquer une réelle indigence intellectuelle et matérielle dont se gaussent entre eux les bourgeois, ceux-là mêmes que les samurai affectent de mépriser pour leur puissance économique.

Dans une dernière série de recueils, de ch 拏nin-mono («histoires de bourgeois»), nous retrouvons le grand Saikaku, témoin irremplaçable de son temps. Visiblement plus à l’aise dans la description des mœurs de sa propre classe, il nous donne dans ces contes un tableau très complet de la vie économique et des pratiques commerciales d’ 牢saka. Le Trésor éternel du Japon (Nippon eitai gura , 1688) prétend dégager une sorte de morale du négociant d’une suite d’anecdotes montrant des réussites exemplaires. Les modèles sont, pour la plupart, des personnages du temps de la propre jeunesse de l’auteur. Il apparaît cependant a contrario que les voies de la fortune sont difficilement compatibles avec la morale puérile et honnête. Si, d’autre part, les efforts et le génie individuel ont pu jouer un rôle dans la construction des grandes fortunes à l’époque de la formation du nouveau capitalisme financier, ce dernier, une fois en place, est régi par une loi d’airain, à savoir que désormais l’argent appelle l’argent. Il en résulte que, dans la société stabilisée de la fin du XVIIe siècle, la masse des petits-bourgeois, à de rares exceptions près, n’a plus aucune chance de réussir, faute d’un capital initial.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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